Si elle n’avait rien dit, elle n’aurait pas provoqué la colère de son mari … Qu’est-ce qu’elle avait besoin d’aller se balader en mini-jupe dans ce quartier ? Si sa mère ne l’avait pas couvé comme ça, il aurait réussi ses études … Regarde où il en est maintenant … !
Ce genre de remarques anodines, nous les avons toutes entendues au moins une fois dans notre vie. Une minorité d’entre nous bondit encore d’indignation mais la plupart ne relève même plus les sarcasmes.
Au quotidien de ma pratique, j’accueille des femmes venues déposer des sentiments de culpabilités. Et si je pluralise volontairement le terme c’est parce qu’il y a autant de formes de culpabilités que de « coupables ».
Mais au fond, de quoi les femmes se sentent-elles coupables ? D’en faire trop au boulot ? Ou de ne pas en faire assez ? D’être une mère trop présente ? Une épouse trop attentive ? D’avoir trop aimé ou bien …. cessé d’aimer, sans jamais avoir osé le dire ? Et envers qui se sentent-elles coupables ? Cette culpabilité leur appartient-elle réellement ?
Toutes ces questions qui constituent le cortège des poisons du mental, sont des boulets que l’on peut traîner tout au long d’une vie, sans jamais s’en libérer.
Et à travers la publicité et les réseaux sociaux, notre société hyper connectée continue de cultiver, de manière totalement inconsciente, ce sentiment dévalorisant pour tout un chacun. Et pourtant certains artistes osent aborder cette forme de violence insidieuse. Dans son film NOCES, Stephan Streker, cinéaste de la conscience, illustre brillamment ces différentes formes de culpabilité : celle de la fille qui sait qu’elle va désobéir à ses parents et provoquer le désarroi, celle du père qui se sent coupable de la souffrance provoquée par une loyauté trop grande à des traditions, celle de la sœur qui continue à véhiculer cette idée négative de la femme, celle de la mère qui ment à sa fille au chevet de son lit, celle du frère qui va commettre l’irréparable ….
La culpabilité n’est donc pas l’apanage des femmes. Les hommes en souffrent évidemment aussi. Mais à l’origine, c’est quand même la faute à Eve, elle n’aurait jamais dû mordre dans ce fruit défendu ….
Dans le livre remarquable Trois amis en quête de sagesse, Matthieu Ricard nous partage la vision dichotomique que l’Occident et l’Orient bouddhiste entretiennent par rapport à cette notion et nous invite, grâce à cette réflexion, à changer notre attitude vis à vis de ce sentiment qui nous sclérose.
En Occident, le sentiment de culpabilité est influencé par la notion de « péché originel ». Dans l’Orient bouddhiste, on parle à l’inverse de « bonté originelle ». Il n’y a rien en nous de fondamentalement mauvais et les fautes sont considérées comme ayant au moins une qualité, celle de pouvoir être réparées. Chacun possède en soi un potentiel de perfection qui peut être oublié ou voilé, mais jamais perdu. Nos fautes et nos défauts sont autant d’accidents, de déviations temporaires, qui peuvent tous être corrigés et ne corrompent en rien ce potentiel. Dan ce contexte, le regret n’est pas un sentiment qui nous fige dans le passé. C’est au contraire ce qui nous permet de couper les ponts avec nos erreurs et de prendre un nouveau départ.
Pour arriver à porter un regard neuf sur les choses et transformer nos comportements, il est important de ne pas brûler les étapes.
Mettre un visage sur l’ennemi
Sun Tzu dans L’art de la guerre nous livre un de ses secrets : « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux. »
Apprivoiser notre culpabilité passe par la capacité à discerner de quel ordre elle est. Simple gêne, embarras, regret ou honte ? Le ressenti émotionnel et psychologique de notre souffrance est proportionnel à la gravité – estimée – de la faute commise. Et cette souffrance prend d’innombrables visages également. On commence à penser que l’on mérite le blâme d’autrui, on doute de notre capacité à faire changer les choses, on se sent tétanisé, on n’ose plus poser des actes, de peur de faire mal.
Et ce mal être de se manifester dans notre corps : contractions au niveau du plexus solaire, boule d’angoisse au creux de l’estomac, comme si on s’empêchait d’éprouver des sentiments joyeux. Maux de tête, vertiges, impossibilité de se concentrer, comme si on nous « prenait la tête », qu’on nous empêchait de penser clairement. Chutes, maux de dos, douleurs dans les articulations, l’intériorisation de ce sentiment pernicieux bloque le corps, empêche de bouger, d’aller de l’avant.
Les conséquences dans notre vie peuvent alors s’avérer désastreuses. On perd peu à peu notre dignité, notre estime de nous-mêmes. On se dévalorise, on répète des fautes déjà commises tout en ayant l’impression de ne jamais pouvoir réparer les choses. Et les couches de douleur continuent à s’accumuler.
Mesurer l’utilité de ce sentiment inconfortable
Je vois d’ici vos moues sceptiques à la lecture du titre de ce paragraphe. En quoi le fait de culpabiliser peut-il être utile ? Pour revenir à cette notion de bonté originelle prônée par les bouddhistes, chaque émotion, chaque sentiment si inconfortable soit-il est là pour éclairer notre chemin pour accéder à la meilleure version de soi-même.
Se responsabiliser par rapport aux actes que l’on pose, mesurer l’impact de ce qu’on dit ou ce que l’on fait, développer notre conscience de ce qui est bien, mal, juste (en laissant parler son intuition, son sixième sens), transformer les « Je n’aurais pas dû… » en « que puis-je faire pour réparer mon tort ? » , s’empêcher de répéter les mêmes erreurs, permettre de déclencher le désir de changer…. Voici quelques-uns des avantages de la culpabilité.
Vous commencez à percevoir comment jouer les alchimistes ? Passons alors à l’étape suivante.
Les chemins de la libération
Quand on a identifié les émotions douloureuses liées à notre culpabilité, penchons-nous sur le besoin sous-jacent à cette émotion. Exemple : quel serait le besoin caché derrière la honte ressentie envers cet ami (à qui j’ai caché une vérité il y a des années…) ? Un besoin de transparence (lui dire ou lui écrire la vérité), un besoin de lui demander pardon, de faire le premier pas vers la réconciliation (s’il a eu vent de ce mensonge et m’en tient rigueur, ….) ?
Pas toujours facile de comprendre nos besoins profonds. Pour s’aider, on peut imaginer l’acte de « réparation » qu’on pourrait poser envers cette personne (qui peut être tout aussi bien soi-même) et la sensation de soulagement qui s’ensuivrait (à cette simple évocation mentale, on sent notre corps se relaxer, ou quelque chose s’alléger en nous). Faites l’exercice, juste pour voir.
Nous avons tous une bonne raison de nous sentir coupables, que ce soit dans notre sphère sociale, professionnelle, familiale, amicale…. Les quelques pistes de réflexion abordées ci-dessus vous aideront, je l’espère, à sortir peu à peu de votre culpabilité. Mais ne laissez surtout pas ce sentiment prendre le contrôle jusqu’à risquer de vous empoisonner complètement l’existence.
Laurence Bastin
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